Le Carnet et les Instants – Les souvenirs et les regrets aussi
Le blog des Lettres belges francophones
« Jeter l’amour avec l’eau du bain »
Délicat, drôle et sincère en diable au corps, voici un carnet intime aéré, illustré avec tact de nombreux dessins aux crayons et collages. Véritable écrin de traits légers pour de petits objets littéraires très personnels, ouvrir ce livre revient à regarder par le trou de la serrure ou bien l’œilleton caché donnant sur la chambre d’une jeune fille en fleur. Elle y est seule au monde et s’expose au voyeurisme des lecteurs avec finesse et sans minauderies.
Il est là. Proche de moi / Je sais qu’il m’observe. / J’ai déposé mon cœur et tout a été consommé. / Comme d’habitude, j’ai tout donné. Trop vite. / Maintenant je dois faire mes lacets / et partir de chez lui.
Pour le garçon que je suis, c’est lumineux et moelleux de se lover tel un chat dans les plis de l’âtre amoureux de Sara Gréselle. Il y a dans sa douceur et sa candeur, une vigueur et du sensationnel : des tergiversations dans la simplicité et de la maladresse dans la lucidité de ses sensuelles confessions.
J’ai ouvert les bras / Je me suis lancée / Avec l’espoir qu’apparaisse un filet.
Un corps habillé, mi-nu, déshabillé, souple, plongeant ou dansant, partage les pages avec des feuilles d’arbres aux couleurs de saisons qui naturalisent son être évoluant entre poèmes chantant et musant. L’amour est nature plus que culture. Il est universel, quoiqu’ici universeul.
Je l’ai regardé s’éloigner. / Il recommençait à neiger / et les traces de ses pas ont disparu aussitôt.
Réduits au statut de mecs numérotés — les hommes n’avaient qu’à bien se conduire ! —, ils se présentent apparus, disparus, passant, passés et peu enclins à l’empathie féminine dont semble avoir tant soif et besoin l’auteure de ce fascicule de princesse aux princes sans charmes trop.
Le mec n°11 dit : / « Quand tu dis je t’aime, on dirait que / tu annonces que tu as le cancer. »
La fin du livre est un petit film d’animation, un seul dessin par feuillet à la fois : une demoiselle avec une longue tresse de cheveux prend son bain et chaque étape y est décomposée. Elle se tient devant une ronde et courte baignoire, elle s’est déshabillée, elle entre une jambe dans l’eau, elle s’y assied, elle y coule son corps avec les genoux posés sur le bord et les mollets qui dépassent.
Alors elle dit un dernier poème sans respirer sans ponctuation sans rancœurs : juste Les souvenirs et les regrets aussi.
J’aimerais qu’on me prenne toute entière avec mes empêchements mes accidents mes nervures mes brisures mes lignes de fuite mes errances mes paupières mes conneries mes carapaces mes forteresses mes et cetera.
Tito Dupret